mercredi 23 mai 2012

Henriette Vagner  habitante et auteure du  quartier très impliquée dans la vie de celui-ci, nous fera le plaisir de venir lire un texte écrit pas elle-même, présentant le Carré Saint-Lazare,
Jeudi 7 juin à 18h30

Carré St Lazare
    Lorsqu'on attend plus ou moins patiemment au bord de la chaussée, que la vague déferlante de véhicules stoppe au feu rouge, que l'on foule les trottoirs d'un carrefour bruyant et encombré, avant de s'aventurer boulevard Magenta, dans un dédale de petites rues aux noms surprenants, ou avant de pénétrer dans un quadrilatère de bâtiments récents abritant bureaux, locaux et logements, l'on se régale quelque peu d'un sandwich sur un banc du square Satragne. Est-ce que là ? , entre un monsieur somnolent et une mère présentant le biberon à son marmot, on se laisse aller à réfléchir, à se dire, mais comment était-ce dans le temps? Avant ces nouvelles constructions, cette ancienne façade au fond du jardin, qu'a-t-elle à nous dire ?
Ce sol bien stable que l'on arpente, les pieds à l'aise, chaussés de sandales ou d'escarpins, comment était-il avant ?  "Avant" vaste question !
- Et bien oublions remblais, pierres et bitume …
- On sait qu'au début de notre monde, la mer étalée chez nous et au delà, s'est retirée petit à petit et, à l'époque préhistorique, a fait place à un fleuve démesuré : "La Seine primitive" dont les larges méandres, rive droite, sillonnaient de la République aux Champs Élysées, mouillaient les pieds des Buttes de Belleville et Montmartre, rive gauche on s'enlisait, à cœur joie, dans les marécages. Puis le fleuve s'est ralenti, raccourci et finalement jeté dans le lit de son ancien affluent : " La Bièvre".
La région détrempée, malsaine et inculte, fut colonisée par les religieux.
- En l'an 500, l'église St Laurent, fondée sur un monceau de graviers, se vit,  en 886, incendiée, mais non anéantie, par les envahisseurs Normands.
- En 1100, les romains établirent deux chaussées pour traverser ces contrées humides, l'une menait vers Senlis et les Flandres, notre rue et faubourg St Martin, l'autre la route de Rouen, notre rue et faubourg St Denis, itinéraire menant à la Basilique du même nom. La population regroupée autour de l'église St Laurent forma " la ville St Laurent".
- En 1110,  le territoire appartenait à l'Évêché.
- En 1122, installation d'une léproserie sur la route St Denis, vu le fléau de la lèpre rapportée des croisades. La léproserie St Lazare, du nom du lépreux dans l'évangile de St Luc, est une institution hospitalière: "l'Ordre de St Lazare", vivant de donations et de grands privilèges royaux. On bâtit l'église St Lazare juste en face, c'est le début du "Carré St Lazare".
- En 1146, Louis VII fit construire en bordure de la rue St Denis le "Logis Royal auprès de la léproserie pour y faire halte, la route St Denis devient "Voie Royale", les entrées solennelles des rois de France se faisaient par la porte St Denis. La protection et les largesses royales furent infinies : viandes, vins, blé, bois … On note que les boulangers par "tradition étaient très généreux.
 
    En forçant un peu son imagination, on peut entrevoir une vaste ferme s'étendant à coté de l'hôpital, s'agrandissant jusqu'à occuper plus de 50 hectares. La "Ferme St Lazare", dont une petite rue garde le nom, dans ce plus grand enclos religieux de Paris, on cultivait vigne, blé, arbres fruitiers, outre une mare un colombier, des moulins, celliers, granges qui emmagasinaient diverses récoltes. La léproserie captait les eaux de Romainville et du Pré St Gervais par un aqueduc,  elles alimentèrent la première fontaine des Halles sous Philippe Auguste.
- Rien de bien surprenant que la "Léproserie St Lazare", rapportant des gros sous, devienne une puissance économique. Un prieur est nommé avec sœurs et frères soignants: "l'Ordre St Lazare". Ces bâtiments formant un U ou un carré, étaient basés le long d'un jardin immense : le jardin des "Messieurs de St Lazare".
 
    Entre les murs de la léproserie, se tenait une foire (foire Ladre ou St Lazare) qui prit une extension en 1137, elle durait 8 jours puis 15 en 1166 avec redevance annuelle au Roi.
- En 1181, Philippe Auguste acquit la foire pour la transporter dans Paris au lieu-dit "Petits Champs", ce fut l'origine des Halles centrales. Plus tard, les lazaristes créèrent la foire St Laurent en août qui perdura jusque sous Louis XV.
De 1226 à 1349, s'éleva le "Prieuré Royal" près de la rue St Denis : "Les Filles Dieu" où l'on installa des pécheresses repenties. La léproserie déclina, le fléau de la lèpre ayant régressé.
En 1360, ce couvent  s'installa à la hauteur des 223 et 239 de la rue St Denis actuelle.
- Ayant fait aménager les Halles de Champeaux, Philippe Auguste fît construire  d'autres axes  verticaux dont la future rue Poissonnière, par là arrivait le poisson des portes de la mer du Nord  à la rue Montorgueil. Puis naquirent des axes transversaux, le premier partant de la maladrerie St Lazare.
    Faisons un saut dans l'histoire.
- En 1517, les lazaristes reçoivent des "retraites forcées", des fils de familles ayant une mauvaise conduite.
- De 1632 à 1662, c'est un collège de bons enfants, hôpital, séminaire, retraite, correction et un bâtiment pour les enfants trouvés qui voit le jour aux 94 et 114 rue St Denis, et où s'installèrent, à perpétuité, les sœurs grises de charité, face au "Carré St Lazare".
Et dans la lancée …
- En 1670, un grand axe arboré se crée : " Les Grands Boulevards" !
- De 1672-74 à 1697, de nouveaux bâtiments bordent la rue St Denis, on élève les portes St Denis et St Martin. Les lazaristes et Filles Dieu vendent des parcelles.
- De 1784 à 1790, construction du mur des "Fermiers généraux", création de l'octroi, impôt sur les marchandises venant des villages entourant Paris. En 1859 Napoléon III annexera ces communes à la capitale.
- Précisons avec délicatesse qu'en 1785, Mr de Beaumarchais interne à la maison de correction pour délit de Presse, le fameux "Figaro" a reçu la fessée en entrant, le "chat à neuf queues" était de rigueur comme accueil.
- D'abord prison pour hommes et femmes, la prison fut affectée aux femmes uniquement en 1794, date à laquelle les lazaristes quittèrent le carré après le pillage et le saccage des 13 et 14 juillet 1789, à la Révolution.
- En 1794, les biens deviennent laïcs.
- En 1811, des dépendances sont vendues en biens nationaux.
- En mai 1822, l'immense enclos St Lazare est percé de rues par ordonnance de Louis XVIII, les bâtiments sont séparés par les rues environnantes.
- En 1828, l'église St Lazare est détruite.
- De 1850 à 1859, réorganisation des arrondissements, le cinquième devient le dixième.
- En 1850, dans la prison on sépare les femmes : "droit commun", "filles publiques",  les saines, les malades, "pistolières" (celles-ci logées à leur frais), "mœurs". Il y séjourna chacune en leur temps : Mme Briard maîtresse de Victor Hugo, Louise Michel communarde, Mme Caillaux, Mata Hari … La prison disparut en 1935, ainsi que d'autres corps de logis. Ne subsistent, aujourd'hui, que l'infirmerie et la chapelle.

    Et du banc où l'on vient de rêver un moment au square Satragne, on peut voir au fond les restes du vieil hôpital.
- Et puis se dire qu'au fil du temps, autour et alentours ce quartier du "Carré St Lazare", après avoir été brillant, animé, artistique, industriel, est devenu très commercial.
- Après tout, ce n'est pas si mal.


Henriette VAGNER

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire